21 janvier 2015

Damen med brytning - La dame à l'accent

Cette couverture fictive devrait-elle vraiment faire rire ?
crédits : Nicolas Martinez

Oui, oui d'accord, on est tous, on est tous... Quelqu'un. Bon, ça va, on a compris. Hé bien moi, aujourd'hui, et je le dis haut et fort, je suis Eva Joly ! (Au sens figuré, je vous prie).

photo : Stéphanie Calombe (nrk.no)
Je m'explique. Eva Joly, 71 ans, née Gro Eva Farseth (On ne s'étonnera pas que Gro Farseth ait pris son deuxième prénom ainsi que son nom d'épouse du francais Pascal Joly, pour embrasser la brillante carrière de juge d'instruction internationale qu'on lui connait, ainsi que sa carrière... moins brillante de politicienne écologiste chez Les Verts), dans le quartier populaire de Grünerløkka à Oslo, présente un parcours  qu'il est bien difficile de ne pas qualifier d'exemplaire...
Après avoir étudié le francais à l'Université d'Oslo, Eva Joly décide partir pour la France à l'âge de 18 ans comme fille au-pair, peut-être déçue de n'avoir fini que 3e au concours Miss Norvège cette année-là (!?). Après quelques temps passés en France, où elle s'est marriée au fils aîné docteur de sa famille d'accueil française, avec qui elle a 2 enfants, Eva obtient à l'âge de 24 ans la double nationalité francaise et norvégienne. Elle poursuit ensuite des études de droits à la Sorbonne, et embrasse, quoi que quelque peu tardivement, une carrière dans la magistrature, où elle effectue une carrière exemplaire - toujours en France. Devenue juge d'instruction en 1990, elle instruit des affaires nationales mageures (Voir affaires Elf, Tapie...)
Enfin, en 2001, ca fait maintenant près de 40 ans qu'elle vit en France, soit plus des deux tiers de sa vie, dont 34 en tant que citoyenne francaise. Suite au suicide de son mari, et à la résolution de l'affaire Elf, elle décide de partir en exil pour la Norvège, un pays qu'elle avait quitté jeune, pour ne "jamais" y retourner. Elle se met alors au service du gouvernement norvégien, avec lequel elle collabore quelques années. Mais, et alors qu'elle est à ce stade devenue un personnage public francais à part entière, elle se rend probablement immédiatement que son statut en Norvège, ainsi que sa grande expérience accumulée en France, ne lui sont d'aucun secours. De retour dans son pays d'origine, elle arrive dans un pays qui n'est vraiment plus le sien : un peuple régi par une monarchie constitutionnelle, et vouant une fierté sans limite envers sa famille royale, son gouvernement, ses acquis sociaux, ses performances économiques, son équipe nationale de ski de fond, de handball féminin, son drapeau, ses bâteaux, ses chalets d'hiver... Bref, envers absolument TOUT ce qui le caractérise. Eva, étrangère dans son propre pays, réalise bien vite qu'y changer les choses sera totalement impossible. Elle y est devenue la francaise de Norvège. 
Après quelques années, puis une petite transition en Islande, où elle travaillera pour le gouvernement post-crise de 2008, elle retourne en France, pour entamer la campagne présidentielle de 2012 à la tête des Verts. 
Bon, la suite, on la connait : discours décevants, français peu convaincus,... Accent moqué. Le parti réalisera un score très faible (2,31% des votes), et même si tout ne peut pas être mis sur le fait qu'il se soit agit d'une personne de nationalité étrangère, femme de surcroît, il est certain que son origine étrangère a joué un rôle dans son dénigrement par la majeure partie de la classe politique francaise, encore bien patriarchale et solide sur ses bases. Avec certains politiciens allant lui contester la légitimité de se présenter à ces élections en temps qu'étrangère (Faut-il rappeler qu'à ce stade, ca fait 45 ans qu'elle a obtenu sa nationalité française ?), qui ne comprend pas vraiment les enjeux et les réalités de la France, qui ne connait pas les Français. Certain allant même jusqu'à clamer ouvertement qu' "il est temps pour elle de rentrer en Norvège" (député Lionel Tardy). Enfin, après cet échec cuisant qu'elle relativise comme elle peut, Eva Joly se remet au travail, étant toujours députée Européenne pour Les Verts (Réélue en 2014), et repart "pour de nouvelles avcentures"...

Enfin bref, là où je veux en venir, c'est qu'à la base, il n'est pas évident qu'une personne, expatriée dans un pays étranger, loin très loin de ses racines, arrive à obtenir la reconnaissance de la part de celui-ci. À l'étranger, l'expat (Je m'inclue dans le lot) a un statut à part, et l'expat' norvégienne en France qu'est Eva Joly a connu ce que tout expat' connait après un certain temps : Plus vraiment considéré comme de son pays d'origine après un temps, il ne devient cependant jamais vraiment totalement rattaché à son pays d'adoption, devenant une espèce d'hybride international. Nettement plus câlé sur la société française que n'importe quel autre Norvégien au monde, dans le cas d'Eva Joly, et plus experte de la culture Norvégienne que n'importe quel Français. Cependant, elle est reniée des 2 car "Ce n'est pas aux Français de donner des leçons aux Norvégiens et... Ce n'est pas aux Norvégiens de donner des leçons aux Français".
Amis expats, voilà ce qui vous attend probablement ! Ce qu'on attend de nous, dans les cas heureux où le xénophobisme ne se fait pas sentir, c'est que l'on s'adapte, que l'on ne critique pas ouvertement le système national et l'ordre établi. En bref, que l'on ne moufte pas. Dans la grande majorité des cas, c'est d'ailleurs comme celà que ça se passe. Combien de millions de non-moufteurs, ayant passé parfois des dizaines d'années dans un pays qui n'est pas le leur, pour une Eva Joly, qui dit tout haut ce qu'elle pense, comme par exemple, et c'est son droit, qu'organiser un défilé militaire pour le 14 juillet est d'un autre temps, surtout pour une démocratie moderne. Repensant probablement aux processions pacifiques des orchestres des différentes écoles norvégiennes qui défilent dans les rues le jours de la fête nationale norvégienne du 17 mai. Bien sûr, elle a par là raté, en émettant ce genre de proposistion, une partie du poids sur les consciences qu'a encore et toujours notre patrimoine culturel, mais c'est malgré tout un point de vue différent, qui devrait donc être vu comme enrichissant, et non comme illégitime.   

Bernadotte, un autre "expat" passé dans la posterité !
Ce qui me fait d'ailleurs penser à un autre expat' majeur de l'histoire commune franco-scandinave : Jean-Baptiste Bernadotte, le grand maréchal d'Empire, ami fidèle de Napoléon, qui connu une ascension fulgurante et finit comme Karl XIV Johan, roi de Suède. Arrivé en Suède, pays qui lui était auparavant quasiment inconnu, il a pourtant tout mis en oeuvre pour garantir le bien du pays. La perspective avec laquelle il voyait les choses était, à l'instar d'Eva Joly, très différentes de son pays d'adoption. Pour lui, point de millénaire entier de conflit avec la Russie, point d'attachement particulier à la Finlande, dérobée par celle-ci quelques années plus tôt. Ainsi, et alors que les Suédois attendait de lui qu'il démarre une guerre de reconquête contre la Russie, le nouveau roi de Suède se fit grand ami du tsar de Russie, dont il s'assura le soutien pour conquêrir... la Norvège, tiens, la boucle est bouclée, et ce, après avoir déclaré une guerre symbolique à son allié de toujours Napoléon, pour défendre son pays d'adoption, la Suède, qu'il a su adopter aussi bien que celle-ci l'a adopté, au sein même de son Histoire.
En d'autres termes, ce genre de cas, encore très isolé me fait penser que nous tous, expats, sont autant d'autres Eva Jolys, de Bernadottes. Que s'adapter à son pays d'adoption est primordial, mais que nous aussi, nous avons notre notre mot à dire sur ce qu'il se passe autour de nous, parce que nous en sommes aussi les acteurs. Et que même, ce mot dit peut changer, améliorer les choses, qui sait ? En tout cas personne, si il n'est jamais exprimé...


Nicolas M

4 commentaires:

  1. J'ai beaucoup aime cet article :)
    Ta soeur

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  2. Je me demandais où tu voulais en venir. Ben j'aime beaucoup !
    "c'est malgré tout un point de vue différent, qui devrait donc être vu comme enrichissant, et non comme illégitime"... (Attends, je vais aller écrire ça dans la neige islandaise)

    La bise d'une autre "dame à l'accent"

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    1. Oui, vu à quel point j'ai été tout sauf économe en mots, le terme "Enfin bref" méritait largement d'être mis en gras ! Oui en effet, madame la journaliste, cette phrase résume a elle seule le point de cet article tout entier ! :) C'est un constat que j'ai pu faire avec le temps. Et une très grande désillusion aussi, d'un côté...

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